1
« Ce n’était rien– le bas d’un jardin
un moment ensoleillé.
Moins encore :
l’ombre d’un arbre.
Ce rien est mon chemin
une ombre me guide.»
Didier Jourdren
2
Lieu de mots
hantés
domaine de strophes
spectrales
Ton poème
est un château de mémoire
sur la page féodale
d’une habitation d’enfance…
3
« Trévarez » *
ou
l’épopée d’un rêve
Ce territoire qui t’habite
sait tout de toi
Des signes coulent
convergent immuables
affirment leur clarté
subtile
Un paysage s’offre
au soleil des jours
d’autrefois
et tu t’émerveilles
de la résonance
d’un « rose château »…
4
Allée brûlante
sous des grands arbres
de mémoire
Tant de musique
tant de lumière
Tes pas flamboient
une saison t’éclaire
Des mots insistent
circonstanciels
tellement dans l’empreinte…
5
Une sanguine pesanteur
du domaine
t’entraîne vers une réalité
d’imprégnation
battant
sans justification
Chacun de tes pas
s’approfondit
te révèle
l’acharnement
à poursuivre tes rêves
Tu traverseras ce lieu
dans ses attaches temporelles
la durée de son éternité
terrestre
en espérant t’oublier
là
fils déshérité…
6
Histoire vieille d’images
étreignant le château
de rêve
Le ciel avance
venteux
multiplie ses averses
Des mots s’imprègnent
impriment sur le jour
gris
ta précieuse quête d’heures
dérimée de la trace
Le domaine tisse
un voile de lumière
ruisselante
l’écoulement de tes pas
est dans l’approche
de ce qui s’efface
absorbé…
7
Frère de marche
que par humaine introversion
Marcher en exil
certes
mais marcher
avancer avec tes mots
avancer
marcher
du grand matin
au grand soir
espérant toujours un sang
neuf
avancer
marcher
pour vivre l’envers poétisé
d’une respiration initiale…
8
Une fenêtre s’allume
dans le soir
le domaine
n’est pas sans veille
Tranquille
nommée est la nuit
enclose
Chaque mot
est bien à sa place
pour dormir ta présence
nichée
Tout dort d’un sommeil
de mémoire…
9
C’était
une première rencontre
avec le domaine
dans la fièvre d’une ombre
en écho de pierres
infiniment aimées
et
il y eut cette transparence
de mémoire scellée
cet héritage de mots
logeables…
10
La neige
souvent la neige
se saisit de ta parole
et
tu réétayes quelques pans
d’un temps
rongé d’absences
la débâcle d’un monde
rompu de dissonances
C’est encore un hiver blanc
à la rencontre d’hier
c’est surtout un hiver limpide
dans le dénuement-même
de ton ombre
devenue insaisissable
Bien sûr
Il y a ce château écarlate
où
il fait si bon
réchauffer sa mémoire…
11
Sanglots
dans le domaine
Tu fais œuvre éperdue
un grand jardin antique
et
tu te retrouves
dans les haillons d’un siècle
vil
Ton infortune
est sans égale
ta prétention
légitime
Tu revendiques l’espace
de tes strophes symboliques
et
voici la neige d’un poème
uniformisant
noyant tout
engendrant ses loups
de désespoir
Jamais tu ne retrouveras
le château originel…
12
L’encre de tes mots
dans ce lieu tutélaire
navigue de mémoire
à mémoire
Du côté du « château rose »
tu t’enfièvres d’un temps
de première pierre…
13
Le château perdure
affermit une intériorité
précise une antériorité
et
tu t’enivres
de ton arborescente
lignée…
14
Ici
comme un château
ici
une consanguinité
cimentée…
*
Ici
comme un arbre
ici
dans les ramifications
d’un enracinement…
15
Corps de pierres
château organique
ombre
dans sa réalité
inexpropriable…
16
Le domaine
avec son histoire
dans l’histoire
inhérence bâtie
Le domaine
d’une mémoire
dans la mémoire
bien avant
bien après
Le domaine
dans l’abondance
du domaine
à demeure
dans tes mots…
17
Plus loin
plus loin toujours
dans la mémoire des choses
des lieux
Ainsi en est-il
de ta véritable histoire
de voix inextinguibles
du passé
de la matière territoriale
de tes mots
Ainsi en est-il
de ta belle lumière
d’ombres vivantes
de la tienne
s’agrandissant
déjà
dans ses limites visibles…
18
Tu t’introduis
dans un monde
derrière le monde
t’incorpores
dans une rotondité
de lumière postérieure
Tu te reconnais
dans une sphéricité de voix
habitées
par le verbe du paysage…
19
Giration
de tes mots
épique domaine
à contempler encore
et encore
Tu justifies
une rustique distance
d’heures royales
avec un élan d’insolence
et d’extravagance
érigées
Dans l’enceinte
d’un royaume absolu
tu remontes
une enfance princière
déchue…
20
Voix native
d’un pays
dessaisi
mots
inestimables
d’une absence
Jour après jour
page après page
ce
qui n’aurait pu s’écrire…
21
Dans l’âtre
d’un âge hanté
tu tisonnes des mots
qui ne furent que feu
d’ombre…
22
Pays
de la matière neigeuse
d’une voix
d’une gravité de mots
peut-être trop
parole en rupture
Finalement
tu ne retiens que l’espace
dimensionné
de ton enfance dans sa vérité
blessée…
23
N’entends-tu pas
ce qui chante en toi ?
Vois
le cœur du monde
dans son végétal battement
multicolore
écoute
vois
un chant de toujours
dans une efflorescence
humaine…
24
Au commencement
il y avait un feuillage
verdoyant
toi
plus verdoyant
encore
toi
plus arbre d’un paysage
natal
que l’arbre
d’un paysage natal…
25
Tu ne laisseras derrière toi
qu’un passage
pleins de tes mots terrestres
des mots d’un seul versant
arable…
26
Dernier domaine connu
« Le pré n’est plus le pré
la neige est autre chose
que la neige
L’insaisissable me touche
où je ne suis pas ».
Didier Jourdren
27
Fuir
l’inconsistance
des uns
l’exubérance
des autres
telle fut la raison
de ta présence
une veille de noël
dans un monastère
où
tu te réconcilias avec toi
d’abord…
28
L’esprit est ailleurs
maintenant
et
les ruines de ta pondérale
histoire
au milieu d’un arpent
de mémoire
n’ont pas la densité
d’une parole infuse
englobée dans un silence
extrêmement habitable
non plus la pesanteur
d’un domaine consacré
où
le corps s’est estompé
l’âme a émergé
Là
au bout d’une route
le mystère d’une église
devint ton mystère d’homme
croyant à la propre portée
de sa résonance abbatiale…
29
C’est dans une chambre
austère
dans le silence rayonnant
d’un lieu spirituel
qu’un cœur
peut – être trop humain
trouva l’apaisement
qu’il y eut cet attrait
pour une image rédemptrice
C’est dans une chambre
pathétique
en audience avec toi-même
q’une grâce te fut accordée
celle désormais
qui te fait dire au monde
l’humilité de sa condition
engendrée
l’humilité d’un pur esprit
fait homme…
30
A présent
quotidiennement
ce plein silence
dans une sollicitation
cette dimension d’esprit
dans une intronisation
hors mesure
cette fraternelle conviction
dans l’universalité d’un chœur
cette plénitude d’âme
dans son œuvre fusionnelle
dans son impératif
de limpidité
dans la gloire d’elle-même…
Imprimé par Ouestélio, à Brest
Dépôt légal septembre 2008
Copyright er-e 2008
ISBN : 978-2-9532914-0-7